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Concours de nouvelles : L’Eveil des Illusions

Je suis réveillée par les doux rayons du soleil qui filtrent à travers les volets anciens de mon appartement. Je m’étire avec satisfaction, réalisant que je n’ai pas aussi bien dormi depuis longtemps.

Et c’est un sentiment divin, magique.

Je frotte mes yeux toujours ensommeillés et remonte la couverture sur mon visage pour savourer encore un instant sa chaleur réconfortante.

Ah, ces précieux instants de torpeur supplémentaire avant d’ouvrir les paupières… Ils sont comme une danse matinale avec le sommeil. Un tango délicieux qui me prépare à affronter une nouvelle journée.

Mais puisqu’il faut bien se lever pour payer les factures, je passe nonchalamment une main sur mon visage endormi. Et, les yeux toujours clos, je pose un pied sur le sol, puis l’autre, et je me dirige vers ma salle d’eau.

Ce petit studio est mon chez-moi depuis cinq longues années. Je le connais comme ma poche, ou plutôt comme la paume de ma main.

Mais ce matin, quelque chose cloche. Au lieu de trouver ma salle d’eau familière dans son habituel en désordre, je me heurte soudainement à… un mur ?

Une main sur le front, j’ouvre enfin les yeux.

Mais attendez une seconde, pourquoi y a-t-il un mur ici ?

Ce mur, au milieu de mon studio, n’a jamais existé !

Les yeux maintenant grands ouverts, je balaye la pièce autour de moi. Une chambre d’un bleu turquoise éclatant, un lit aussi grand que mon logement, un dressing à faire pâlir toutes les fashionistas de la Terre, et même une bibliothèque digne d’une librairie chic.

Le cœur sur le point de sortir de ma poitrine, je me pince le bras, espérant que ce soit juste un vilain rêve. Mais au lieu de cela, je remarque un tatouage sur mon avant-bras gauche. Une rose ? Mais depuis quand est-ce que j’ai une rose noire tatouée sur mon bras, moi ? Je n’ai jamais été une adepte des fleurs permanentes. Les orchidées, d’accord. Mais les roses, elles, ne sont pas vraiment ma tasse de thé.

D’un pas feutré, j’avance silencieusement sur le parquet en chêne, évitant les nombreux vêtements qui jonchent le sol. J’ouvre la porte, et là, un immense séjour archaïque et beaucoup trop décoré m’accueille. Mes yeux sont immédiatement attirés par un miroir suspendu à l’un des murs, ornés d’une tapisserie florale au charme rétro.

Je m’approche avec curiosité pour observer mon reflet, et c’est à ce moment précis qu’un hurlement digne de faire fuir même le roi de la jungle s’échappe de ma gorge.

Le visage qui me fait face est fin, aux traits enfantins, avec deux magnifiques yeux verts étincelants et des taches de rousseur éparpillées sur mes joues. Mes cheveux bruns ont mystérieusement été remplacés par une cascade blonde.

Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Où sont passés ma longue crinière brune, mes piercings et mes yeux marron ?

On dirait ma mère, mais en version rajeunie d’au moins trente ans !

Je crois que je suis en pleine crise identitaire et, en toute franchise, ce n’est pas vraiment le moment pour ça !

Mon souffle se suspend lorsque j’entends un bruit de pas derrière moi.

— Ça ne va pas, Hélène ?

Une femme à l’allure parfaite et au visage angélique s’approche de moi. Je plisse les yeux.

— Mémé ? C’est toi ?

Rapidement, je place une main devant ma bouche.

Ma voix, d’habitude grave et vibrante, qui semble presque venir des tréfonds de l’âme, résonne désormais douce, prenante et forte agréable à entendre. Comme si je venais de manger un pot entier de miel.

La quarantenaire croise ses bras frêles sur son imposante poitrine.

— Mémé ? Mais qu’est-ce qui te prend, Hélène ? Viens donc déjeuner. Tout le monde est à table, nous n’attendions plus que toi.

Je recule d’un pas, cherchant n’importe quelle réponse dans les méandres de mon esprit.

— Mais c’est quoi ce bazar ?

— Dis donc, comment tu parles, Hélène !

— Euh, pardon, mais pourquoi vous m’appelez par le nom de ma mè…

Je m’interromps brusquement, une illumination perçant mon esprit embrumé.

D’un pas vif, je retourne dans la chambre, referme la porte derrière moi et me laisse choir contre celle-ci.

Manifestement, je suis encore endormie, et tout cela n’est qu’un rêve.

Oui, ça ne peut être que ça de toute façon !

Je me pince à nouveau fortement les bras. Rien.

Là, je commence réellement à avoir peur. Vraiment peur.

Inspire. Expire.

Aller Mélie. Essaie de te remémorer les derniers événements dont tu te souviens.

Alors… hier soir, j’étais sur mon canapé, dans mon vrai chez-moi. Épuisée et en larmes, devant un épisode de télé-réalité… Et… Le néant.

Voilà tout ce dont je me souviens, donc.

Je m’assois sur le bord du lit, les mains tremblantes et le cœur battant.

Tout semble irréel. Un mélange troublant de rêve et de réalité. Je suis ici, dans cette chambre inconnue et avec ce corps qui n’est pas le mien !

La porte s’ouvre doucement, et mémé entre dans la pièce, le visage empreint de douceur. Elle me fixe attentivement, essayant sans doute de percer le mystère qui se cache derrière ces yeux qui ne sont pas les miens.

— Quelque chose te chagrine, Hélène ?

Je me pince une fois de plus. Mais une fois de plus, rien ne change. Je suis toujours là, prise au piège dans le corps de ma mère et confrontée à cette réalité déconcertante.

Les pensées s’entrechoquent dans ma tête, créant une tempête d’émotions et de questions sans réponse.

Comment expliquer ce qui m’arrive à ma grand-mère qui ne sait pas encore qu’elle est ma grand-mère ?

C’est alors qu’une lueur satinée éclaire mon esprit.

L’enterrement… mémé… mon réveil ici… Non, ça ne peut pas… C’est impossible… Quoi que…

J’ai l’impression d’être dans un film, ou encore un roman.

— Allons déjeuner, s’il te plaît, Hélène.

Je me lève lentement, et quitte la chambre d’un pas incertain.

Des murs tapissés de motifs floraux, des meubles aux couleurs vifs, des fauteuils en velours côtelé et une télévision gigantesque qui trône au centre de la pièce, accompagnée de magnétoscopes… Tout cela se déroule devant moi, comme un décor théâtral parfaitement reconstitué.

Mais une évidence s’impose : ce n’est pas une illusion.

Tout est réel.

Bien trop réel pour être ignoré.

Alors que je m’installe à table, je sens les regards intrigués des autres membres de la famille se poser sur moi. Des voix chuchotent, des sourcils se froncent, des rires se retiennent.

Mais je les ignore, car enfin, j’ai compris la vérité !

Je suis revenue dans le passé, dans le corps de ma propre mère, avec la chance unique de voir ma grand-mère à nouveau.

Pourtant, à mesure que j’observe attentivement les visages qui m’entourent, je réalise que quelque chose ne va pas. Les trois paires d’yeux sont empreintes d’une lueur d’admiration mêlée à du respect, comme si subitement, j’étais devenue une étrange fascination pour eux.

Mes sourcils s’unissent.

— Pourquoi vous me regardez comme ça ?

Le sourire angélique s’efface du visage rayonnant de ma grand-mère, très vite remplacé par une expression inquiète.

— Hélène, est-ce que tu es sûr que tout va bien ?

Je la fixe, incapable de trouver les mots pour expliquer ce qui m’arrive.

Et puis, avant que je puisse ouvrir la bouche, un flash de lumière aveuglante envahit la pièce.

Tout devient flou, comme si le temps lui-même se distordait autour de moi. Des couleurs vives et chatoyantes dansent sous mes yeux, créant un kaléidoscope éblouissant.

Au milieu de ce tourbillon de lumière, des images furtives se forment et se dissipent. Des souvenirs d’un autre temps, de quelqu’un d’autre. Je les saisis à peine, comme des fragments d’un puzzle qui s’assemblent brièvement avant de se désintégrer. Je vois ma grand-mère dans sa jeunesse, souriante et rayonnante. Je vois des moments de bonheur partagés en famille, des rires, des joies simples. Je vois des instants d’émotion intense, des larmes et des étreintes.

Puis, tout aussi soudainement qu’il est apparu, le flash de lumière s’estompe.

Je me retrouve de nouveau dans mon propre corps. À mon époque actuelle. Assise face à la stèle de mémé, mon visage se laisse caresser par les rayons du soleil couchant.

Le souffle coupé, je réalise que tout cela ne pouvait être qu’un rêve étrange, quoique troublant. La maison luxueuse, le corps de ma mère, mémé… Tout n’était finalement qu’une simple illusion fugace.

Je frotte mes yeux, cherchant à dissiper le flou de ce rêve.

Cependant, au plus profond de moi, une question persiste : était-ce vraiment un rêve, ou quelque chose de plus mystérieux ?

Alors que mon regard se pose de lui-même sur la stèle devant moi, un détail attire mon attention : une date différente de celle que je connaissais pourtant par cœur.

Un décalage qui remet tout en question.

Était-ce simplement le fruit de mon imagination tourmenté, ou bien y avait-il une vérité cachée derrière ces visions ?

Une réalité où ma grand-mère aurait pu vivre plus longtemps ?

Angélique Brazier – Auteur

Nouvelle écrite pour le Prix du voyageur.